Je vis sur Paris et à chacune de mes sorties, il m’est impossible de ne pas croiser des sans-abris. Certains ont le courage de faire la manche, d’autres attendent dans le froid avec une pancarte, certains boivent pour se réchauffer. Pour être honnête, je ne sais rien d’eux et à chaque rencontre, ou plutôt à chaque fois que je croise un sans-abri, j’imagine le pourquoi de sa situation. Je donne de temps en temps mes fonds de poche au premier qui me parait non drogué / non alcoolisé, mais la plupart du temps, je ne donne rien et j’ai honte de ne pas les aider. Je baisse les yeux pour esquiver leur regard qui en dit tant. Je suis persuadé que vous avez déjà fait la même chose ? Et puis, à force d’en croiser tous les jours, on finit par les ignorer totalement. Ah quelle bande de crapules nous sommes. Ils crèvent de faim à nos pieds et on s’en fout. Bravo la fraternité.
Alors hier, j’ai fait une chose qui me trottait depuis un certain temps dans la tête : j’ai hébergé une Sans Domicile Fixe. Avec ma copine, on avait déjà évoqué l’idée quelques semaines avant. On a un canapé de dispo dans le salon, on a une douche qui fonctionne et on est capable de cuisiner pour 2, alors pourquoi pas pour une troisième personne. Offrir ces services, je l’ai déjà fait en hébergeant des étrangers voyageurs (via Couchsurfing), alors pourquoi pas avec des sans-abris.
Bref, il est 20h, je suis dans les ruelles de Paris et je me fais interpeller par Marie, une vietnamienne de 60 ans. Elle me dit que ça fait 48h qu’elle est à la rue car elle vient de se faire virer de son hôtel (fin de la trêve hivernale). Elle me demande cash si j’ai de la place chez moi pour l’héberger. On discute 5 minutes, le temps de comprendre sa situation et je me dis pourquoi pas. Qu’est-ce que j’ai à perdre ? Je passe un coup de fil à ma bien aimée pour avoir son accord. Elle me fait confiance, c’est OK.
Avec Marie, nous convenons de nous retrouver à 22h00 au métro de ma rue. J’ai le temps de rentrer un peu avant et s’en suis une longue discussion avec ma chérie. Nos peurs refont surface immédiatement. Mais qui est cette dame ? Est-elle dangereuse / folle / malade / droguée ? Nous ne savons rien d’elle et pourtant, elle va dormir là dans la même pièce que nous (on dort au dessus du salon dans la mezzanine). Ca se trouve, elle va nous tuer pendant la nuit ? Elle a juste à monter les marches… Elle est peut-être mal intentionnée et fait du repérage ? Dans la rue, elle m’a montré ses marques sur son ventre dues à des démangeaisons. Couvre t-elle une maladie ? Est-ce contagieux ? A-t-elle des puces de lit ? On psychote.
On ne pense plus avec notre coeur mais avec notre peur. On est tellement bien dans notre confort qu’on en oublie notre humanité.
Et si Marie était simplement une personne dans le besoin, comme elle l’avait dit. Et si on oubliait les news colportées par les médias, celles qui nous gavent à longueur de journées de choses négatives. Et si on apprenait à faire confiance en l’inconnu et qu’on acceptait cette part de risque. Et si on regardait ce qu’on a à gagner, plutôt ce qu’on a à perdre. Et si on acceptait qu’elle soit malade et ces vêtements couverts de puces. Ne serait-ce pas une raison supplémentaire de lui offrir de l’aide ?
Et que se passerait-il si j’étais dans cette situation ? Ah bin justement, maintenant que j’y repense.
J’ai déjà vécu ces moments où tu as besoin de l’autre. J’ai encaissé des centaines de refus lors de mon voyage en autostop pour rejoindre la Laponie. Je me souviens de mon incompréhension face à ces conducteurs aux voitures vides qui ne voulaient pas me prendre. Ils ont de la place et vont dans la bonne direction, pourquoi ne me prennent-ils pas ?
Je me souviens avoir demandé l’hospitalité lors de mon Paris-Bruxelles en Vélib. Tout ce que je récoltais, c’était des portes fermées. Un refus m’a particulièrement marqué. Il est 22h, je suis exténué de ma journée de vélo et j’ose frapper à une porte d’une belle maison. Un couple de retraités y vit paisiblement. Nous nous présentons avec ma copine et demandons le gite. Le mec est chaud mais la femme refuse. Je sens bien qu’elle a peur. Il fait nuit et il y a deux personnes sales qui débarquent de nulle part. Comment faire confiance à l’inconnu ? A ce moment-là, tout ce que je vois, c’est une grande maison avec des chambres libres et quelqu’un qui me claque la porte au nez. Je suis incapable de me mettre dans leur situation. Je suis dégouté et découragé, et ma foi en l’Humain en prend un coup.
Revenons-en à notre histoire.
Marie est arrivée à 22h30. Douche, diner, discussion. Elle me raconte sa vie et ses galères. Elle était taxi dans Paris. Elle faisait des heures pas possibles pour essayer de s’en sortir. Un jour, elle a eu un accident à cause du manque de sommeil. Elle s’en sort physiquement, mais psychologiquement et économiquement, c’est l’effondrement. Elle vit depuis 11 ans dans la rue. Je ne comprends pas tout car tout est flou. Elle me l’avoue, c’est dur pour elle de parler de tout ça. Je suis sans voix.
A son tour, elle me pose des questions et j’ai honte. Honte de lui raconter ma vie de privilégié. Je trouve ça indécent et je lui mens. J’ai doublement honte. Quand on parle d’argent, j’ai le sentiment qu’elle va m’en demander. Quand on parle de notre appartement, j’ai l’impression qu’elle va vouloir y rester. Quand on parle tout court, j’ai envie de pleurer. Je suis choqué par mes pensées. Elle est à la rue et moi je m’inquiète de mon confort. Je finis par aller me coucher, saoulé par moi-même, par notre société individualiste, par cette pensée globale de la peur de l’étranger, par ces inégalités qui se creusent toujours plus. Pourquoi est-il si dur de faire confiance à l’inconnu ?!
Ce matin, elle est partie en me donnant quelque chose de précieux : l’envie de recommencer.
Commentaires
Une belle histoire <3 J'avais été bénévole un bon bout de temps pour le SAMU social à Tours, tu te doutes que ton texte a donc un écho particulier pour moi… Je te souhaite, comme tu l'écris, de renouveler l'expérience! Bises à toi et ta chérie 🙂
Son dernier article : Plongée au cÅur de Naypyidaw, l’étrange capitale fantôme du Myanmar
Un article touchant et intéressant. La façon dont tu évoques les contradictions que tu as ressenties me font tild. Moi même en voyage j’ai demandé l’hospitalité, en couchsurfing ,chez des inconnus, où on me l’a proposé spontanément. Contre quelques pesos, contre un dîner, une discussion, ou rien, juste par bonté… Je n’ai toujours pas de chez moi car je suis toujours sur la route mais j’espère être capable de re-donner l’hospitalité dès que possible, ça et plus.
J’ai déjà hébergé des inconnus en CS avant de partir, je le referais quand je serais posée, mais comme toi j’espère être capable de tendre la main à des personnes peut être plus nécessiteuses sur le long terme que des voyageurs de passage.Je dis j’espère car idem, je ne prétends pas savori d’avance quelle sera ma réaction face à quelqu’un dans la nécessité. Aurais je un comportement exempt de préjugés? J’espère.
Peut on prétendre à recevoir si l’on ne sait pas donner?
Serait il plus facile de recevoir que de donner?
Bref, j’ai apprécié ton article, jolie réflexion.
Son dernier article : Commentaires sur Visiter le Salar d’Uyuni et le Sud Lipez au départ de Tupiza par A thousand smiles away (Maë)
Bonjour,
Très belle histoire qui me donne envie de concrétiser mes idées.
je m’explique, depuis quelques jours, je vois tous les matin une dame avec son chien en train d’attendre des jours meilleurs dans le couloir de correspondances de la gare Saint Lazare à Paris. Ce matin, comme d’autres matin, je lui ai donné une petite pièce et une petite parole de réconfort. Sa voix en me disant merci m’a ému car douce et timide.
J’aimerai tant pouvoir l’aider et l’héberger ne serait ce qu’une nuit pour qu’elle trouve un peu de confort, de chaleur et de réconfort en ce monde égoïste.
Comment devrait je m’y prendre pour lui proposer mon aide ?
Merci
bnjour
tres touchant recit
ca fait un bout de temps que je desire aider mes semblables dans la misere( j avoue etre contre certaine assos dites humaniataires mais c est un autre debat)
j heberge l ete des voyageur via un site, ds gents aussi differents que variers..
certes il y a le cote financier meme si c est tres peu pour la region et la saison mais je vise une classe de personnes qui n auraient pas les moyens de se payers des vacances en familles ou parent isole , dans des hotels meme campings
depuis quelques temps , surtout en cette periode ou on va se goinfrer de bonnes choses, de faire des calins hypocrites, se faire des ceaux sans intentions… mais EUX????
alors je me damndais si heberger un sdf ou une sdf beaucoup plus vulnerable, ou meme une fille mere qui squate dans des foyer sans vraie vie pour elle et leur tresor???
on se complait dans notre quotidien, n se plain de petit tracas et on se laisse vite deborder par rien…
je suis pere donc ma decision ne doit pas etre prise a la legere je ne suis pas seule en cause
en gros je suis paume car je voudrais aider certes masi ne pas mettre les miens dans la difficulte ou le risque donc si quelqu un peu maider me conseiller
merci a vous tous merci pour les post et bonnes fetes a vous tous