1 pédalo, 2 personnes, 1 folie, 360 km, 25km par jour, 5 écluses
Descendre la Seine en pédalo
26 août 2017
Le départ a lieu de l’île de Puteaux où nous avons donné rendez-vous à nos proches. Nous prenons le temps de décorer le pédalo : en guise de proue, une magnifique licorne rose, symbole de magie, d’enchantement et d’utopie ; à l’arrière, des ballons et des cœurs gonflés à l’hélium. Sous une bâche se tient tout notre attirail pour deux semaines de voyage : de quoi manger, dormir et se changer. Mon ami Laurent Houssin, avec qui j’ai traversé la Manche en voilier, me questionne.
— Vous avez prévu quoi pour vous amarrer ?
— Euh, rien…
Victoria et sa mère partent illico et reviennent quinze minutes plus tard avec deux cordes de dix mètres, ainsi que des pare-bats que l’on accroche autour de l’embarcation. Dans la précipitation, on oublie parfois l’essentiel. Sans corde, impossible de s’amarrer, et sans pare-bats on risque d’abimer notre bateau. Nous embarquons également une rame. Des pompiers nous aident à mettre le pédalo à l’eau. On est émus de partir pour ce voyage de pacs pas comme les autres. Sous les encouragements de notre famille, nous entamons nos premiers coups de pédale par un temps magnifique. Adieu Paris, Honfleur nous voilà !
Nous dépassons le pont de Neuilly, puis longeons l’île de la Jatte. Sur les bords de Seine, de nombreuses péniches sont amarrées. Tous les riverains nous adressent de grands coucous. On sent une énergie positive. On croise notre première péniche, qui nous double à toute allure. C’est la panique à bord quand nous voyons les vagues. Mais tout se passe bien, le pédalo est stable. Il faut dire que ses dimensions aident : quatre mètres cinquante sur deux. Notre vitesse de croisière est de quatre kilomètres par heure, soit la vitesse d’un piéton. Tout l’après-midi, nous recevons la visite d’amis qui nous saluent de loin. On est déjà écœurés par les déchets dans l’eau. Parmi eux, un Vélib’ et même un scooter…
Physiquement, Victoria est au top du top, c’est une machine. On dirait qu’elle a pédalé toute sa vie. Je fais pâle figure à côté : cela fait une semaine que je traîne une angine. J’ai bien essayé de me soigner, mais j’ai fait une allergie au traitement. Résultat, en plus du mal de gorge et de la fièvre, j’ai des aphtes plein la bouche, ce qui réduit ma capacité à parler. Le départ étant impossible à décaler, je prends des antidouleurs.
En fin de journée, je suis au bout du rouleau. Nous atteignons notre objectif en dépassant le pont de Bezons, vingt-quatre kilomètres plus loin. Marie, la propriétaire d’une péniche, nous propose de nous amarrer à son bord pour éviter de nous faire voler le pédalo pendant la nuit. Nous faisons la visite de sa péniche et on déguste même quelques crêpes. Trop aimable !
Vu mon état lamentable, nous décidons de dormir chez mon oncle Thierry qui habite non loin. Il me faut une nuit calme pour récupérer.
27 août 2017
Moi qui pensais me réveiller en pleine forme prêt à entamer cette journée avec détermination, c’est raté. Une douleur sans pareille aux gencives me paralyse la bouche. Direction le dentiste.
— Vous avez une aphtose
Traduction : des aphtes par dizaines qui font mal, très mal, qui m’empêchent de manger, de parler et qui gênent ma respiration… Pas pratique quand on a besoin de force pour pédaler sept heures par jour.
— N’allez pas au travail et reposez-vous toute la semaine. Il n’y a rien à faire pour les aphtes, à part prendre du repos.
Comment lui dire que mon travail, c’est de pédaler ?
Avec Victoria, on prend le temps de réfléchir à la situation.
— Est-ce qu’on abandonne ?
On vient à peine de commencer. Arrêter aussi vite, c’est inimaginable. Et Victoria est au mieux de sa forme.
— Je peux pédaler pour deux, tu n’auras qu’à te reposer.
Mon mental s’est fait la malle. Avoir une douleur permanente n’aide pas à penser positivement. Je peste contre tout. Ce n’est que le début d’aventure et je ne me vois pas continuer. Alors, ce matin, on prend une sage décision. On arrête. Pas définitivement. Deux jours, pour me reposer et repartir de plus belle. Ce n’est pas un abandon, juste un contretemps.
30 août 2017
Après deux jours de repos, nous sommes prêts à reprendre notre aventure. Nous retrouvons notre pédalo au pont de Bezons. Quelqu’un est venu fouiller dans nos affaires : un rongeur ! Il s’est régalé de nos provisions. On part sous un beau ciel bleu depuis le pont de Bezons. Nos deux sièges sont côte à côte. Pratique pour discuter tout en pédalant. On gonfle nos tapis de sol pour les caler sous nos fesses. C’est que ça fait mal d’être assis sur du plastique.
La première difficulté se présente : l’écluse de Chatou. Les écluses permettent aux bateaux de franchir les différences de hauteur quand il y a des cascades. Victoria appelle la tour de contrôle. On nous indique de nous coller aux prochaines embarcations. Le temps du passage, on enfile nos gilets de sauvetage. La première porte s’ouvre, deux péniches de plus de cent mètres de long débarquent. On les suit, peu rassurés. On se sent tout petits. Avec nos deux cordes, on s’amarre aux bittes sur le quai. La porte se ferme et l’eau se met à descendre progressivement. Deux mètres plus bas, on se rend compte de notre erreur. Notre pédalo est à moitié en l’air, suspendu par les cordes. Il fallait faire des nœuds coulissants ! Je grimpe rapidement pour débloquer la situation. C’était limite. J’attends sur le quai pendant que notre pédalo descend de six mètres. L’autre porte s’ouvre et les deux péniches partent en nous laissant dans un bain à remous.
L’après-midi, le soleil est au rendez-vous. On a l’impression d’être en vacances, à des années-lumière de la ville. Pas un poil d’ombre, on crève de chaud. On emprunte les petits bras de la Seine qui nous donnent le sentiment de naviguer sur un ruisseau. En plein milieu de l’eau, on découvre le cadavre d’un énorme poisson-chat. C’est un silure d’un mètre cinquante qui gît à la surface. Moi qui comptais me baigner, je suis refroidi.
Cette deuxième journée passe vite. On la termine à Conflans où nous dormons chez mes parents. Pas complètement rétabli, je préfère profiter d’un vrai lit.
31 août 2017
Moi qui me plaignais d’avoir trop chaud, aujourd’hui, c’est tout l’inverse. Tout est grisâtre et rien ne donne envie de pédaler. Nous débutons notre journée sous la pluie. Heureusement, on a prévu le coup : nos parapluies et nos vêtements sont imperméables. Et comme dirait mon pote Frédéric Casales, le soleil est dans nos cœurs.
Quand on arrive à l’écluse d’Andrésy, Victoria appelle. On tombe sur un remplaçant qui n’a jamais entendu parler de notre projet.
— Bonjour, c’est le couple en pédalo. Pouvez-vous nous ouvrir ?
— Êtes-vous accompagnés par un bateau à moteur ?
— Non.
— Dans ce cas-là, je ne peux pas vous ouvrir. La seule condition est que vous soyez escortés en permanence d’un engin motorisé.
Victoria s’effondre et finit par raccrocher les larmes aux yeux. Notre monde s’écroule. On ne peut pas aller plus loin. L’exigence de l’éclusier est une aberration pour une randonnée fluviale écologique qui vise zéro émission de CO2. Notre contact haut-placé le sait bien, mais il est en congé. Porter le pédalo pour contourner l’écluse est inenvisageable, il pèse trois cents kilos. Et puis, ça ne change rien au problème : il reste quatre écluses à passer jusqu’à la mer.
Victoria insiste et explique la totalité du projet : notre rêve, notre amour, cette première mondiale, les médias. Au bout d’une heure à discuter sous la pluie, l’homme est sensible à notre histoire.
— Suivez la prochaine péniche, elle fera office d’escorte.
Quel soulagement ! À notre passage, l’éclusier prend la peine de descendre pour nous encourager dans notre périple. Merci ! Nous passons Andrésy le sourire aux lèvres.
Quelques kilomètres plus loin, nous sommes lessivés par la pluie qui s’est intensifiée. On s’arrête pour déjeuner avec des canards sous un ponton. Au réchaud, on se fait une soupe qui nous redonne de la force. On repart sous la tempête. Face au vent, on avance à deux kilomètres et demi à l’heure. On tient la cadence malgré tout. Nous finissons la journée à Meulan-en-Yvelines après vingt-neuf kilomètres. Nous sommes accueillis par une trentaine de cygnes blancs et noirs qui paradent. C’est magique. Avant d’aller nous coucher, un journaliste de BFM monte sur le pédalo pour faire un reportage sur notre aventure.
31 août 2017
Démarrage de la journée à 10 heures. Dans le ciel, quelques nuages, mais ce n’est rien comparé au temps de la veille. Nous sommes en manteau : il fait froid. Les premiers kilomètres se font dans la plus grande décontraction. On est heureux de reprendre la route – enfin, le fleuve – et on pédale gaiement en appréciant le paysage. Les rives sont de plus en plus vertes et on observe de moins en moins de déchets. On ne compte plus les couples de cygnes que l’on croise. On peut les repérer à deux cents mètres tellement l’éclat de leur parure blanche contraste avec le vert de la végétation. Une famille avec les petits au plumage grisâtre nous suit. Un mâle perdu nous fait la cour dans une chorégraphie majestueuse. Un autre nous fait une démonstration d’envol et d’amerrissage, déployant ses ailes blanches. Un régal pour les yeux.
À midi, le vent s’invite à la partie. On peste : nous sommes censés être dans le sens du courant et pourtant, si nous ne faisons aucun effort, nous reculons. Notre vitesse de croisière est passée de quatre kilomètres à l’heure à trois. Décourageant. On fait la course avec un vieux sur la berge, il nous sème sans effort. Devant la centrale électrique de Porcheville, abandonnée depuis 2017, nous profitons de la vue atypique pour déjeuner de délicieux raviolis au seitan qui nous confortent dans notre choix de cette randonnée vegan On passe ensuite par Mantes-la-Jolie, dont la cathédrale se dresse au bord du fleuve. Le temps est de plus en plus clément et la lumière parfaite. La fatigue commence à se ressentir. Depuis ce matin, nous pédalons non-stop. On enchaîne les derniers kilomètres jusqu’à l’écluse de Méricourt. Va-t-on nous laisser passer ? On appelle l’éclusier qui nous répond avec le sourire.
— Je vous attendais. L’écluse est prête.
Le mot est passé. On a l’écluse rien que pour nous.
Nous atteignons en fin de journée le camping de Mousseaux-sur-Seine. Nous montons la tente et dînons. Allez hop, au dodo.
1er septembre 2017
Une belle journée commence. Les moutons dans le ciel se reflètent sur l’eau paisible. Sur les bords de Seine, les maisons normandes font leur apparition. Nous apprécions les falaises qui bordent la Seine et passons par le château de La Roche-Guyon, puis celui de Giverny. Les couleurs sont sublimes, d’autant que les arbres commencent à revêtir leur parure d’automne. Après vingt-cinq kilomètres, nous quittons définitivement les Yvelines pour entrer dans l’Eure. En fin de journée, à Vernon, un batelier, clope à la main, nous interpelle.
— Oh, les jeunes, vous voulez dormir sur ma péniche ?
La proposition est soudaine. On a pris du retard sur notre planning et on aimerait continuer une heure. De plus, l’homme paraît étrange. Il vient de prendre l’apéro et ça se voit.
— Il faut qu’on réfléchisse…
— C’est maintenant ou jamais !
Avec Victoria, on se regarde un instant pour savoir ce que l’autre en pense. Ce genre d’opportunité ne se présente que très rarement. Je lance :
— OK, on peut s’accrocher où ?
On amarre notre pédalo à la péniche de Paul le marinier. Bourru, il coupe la parole et donne des ordres. Est-ce qu’on a bien fait d’accepter sa proposition ? Il me parle de technique et à Victoria de cuisine. Victoria le recadre gentiment.
— On est tous les deux navigateurs.
Après une visite de son embarcation, il nous fait découvrir la cabine de son assistant où on va dormir, celui-ci étant en permission. Sans compromis, il nous raconte son histoire, nous parle de ses enfants et nous fait découvrir son univers. Il transporte des marchandises sur la Seine depuis une trentaine d’années. Sa péniche, le Sinaï, c’est sa vie. Elle fait office de maison et de travail.
— Quand je vous ai vu deux jours plus tôt, je me suis dit que ça vous plairait de dormir à bord.
Derrière un personnage brut et franc se cache un mec généreux, toujours prêt à rendre service. Je suis ravi de cette rencontre. À 21 heures, nous nous endormons épuisés et les jambes endolories.
2 septembre 2017
Nous quittons Vernon à 7 h 30 en direction du moulin d’Andé. Dormir sur le Sinaï fut magique, peut-être parce que c’était un de nos rêves. Nous partons, hélas, sans pouvoir dire au revoir à Paul. Nous lui laissons un mot et des croissants en guise de remerciement.
La Seine est lisse et un léger voile la recouvre, la rendant encore plus mystérieuse et féérique. Les oies prennent leur envol et les cygnes font leur promenade matinale. À 10 heures, nous passons l’écluse Notre-Dame-de-la-Garenne. Victoria monte dans la tour de contrôle papoter avec l’éclusier. Il nous ouvre les portes et vient nous prendre en photo ; je crois qu’on a un nouveau fan. Deux heures plus tard, nous apercevons Château-Gaillard. Juché sur une colline, il surplombe la Seine. Nous faisons une pause aux Andelys afin de reprendre des forces. Nous enchaînons les kilomètres avec panache, les paysages grandioses aidant. À 18 h 30, après dix heures à pédaler, nous atteignons notre objectif : le moulin d’Andé qui nous offre le gîte et le couvert pour la nuit.
Relevé des compteurs : nous avons explosé les statistiques en parcourant quarante-deux kilomètres dans la journée. La nuit va être douce dans ce lieu hors du temps.
3 septembre 2017
Ce matin, nous avons du mal à partir à cause du cadre idyllique. Pourquoi quitter un endroit aussi paisible ? Après avoir visité le moulin, nous déjeunons copieusement et faisons nos adieux aux propriétaires pour décoller un peu plus tard qu’à l’habitude. Il est 11 heures.
Aujourd’hui s’annonce monotone. Nous n’avons que vingt-quatre kilomètres à parcourir pour rejoindre Elbeuf. Cela fait une semaine que notre rituel s’est mis en place. Une fois sur l’embarcation, nous pédalons sans nous en rendre compte. C’est un effort constant à fournir pendant minimum sept heures. Nous sommes comme des machines programmées. On actionne nos jambes mécaniquement et on « bouffe » de la Seine. L’envie de s’arrêter pour prendre des photos est inexistante. Le ciel est couvert et les couleurs sont ternes. Alors on pédale, croisant ici et là cygnes et canards. Nous écoutons de la musique et des émissions de radio pour passer le temps.
Nous franchissons rapidement l’écluse de Poses-Amfreville. Je laisse Victoria aux commandes du pédalo pendant que je monte sur le quai. Devant moi, huit mètres d’eau s’échappent tandis que Victoria disparaît au fond de l’écluse. Les portes s’ouvrent et je la rejoins non sans mal. Descendre une échelle rouillée pleine de vase de huit mètres, ce n’est pas très rassurant. C’était notre cinquième et dernière écluse.
Aux alentours de 15 heures, nous prenons notre déjeuner sur une plage de galets. Nous recevons la visite d’un serpent de soixante centimètres, une couleuvre. J’ignorais qu’il y avait des serpents sur les berges de la Seine. Sur une autre île, on aperçoit une biche se faufiler entre les arbres. Nous reprenons la route et le mauvais temps repart de plus belle. On sort les parapluies et vêtements imperméables. La seule chose positive, c’est qu’on est dans le sens du courant. La météo nous indique qu’il va pleuvoir jusqu’au lendemain matin. L’idée de passer une nuit sous tente ne nous enthousiasme pas. Il fait froid et nos affaires sont trempées. Un fan m’envoie un message pour nous proposer de dormir chez lui et sa famille. On accepte son invitation avec plaisir et nous les retrouvons au port de plaisance d’Elbeuf.
Dans cette aventure en pédalo, on se sent un peu seuls sur notre embarcation. Les échanges avec l’extérieur sont rares durant la journée. Heureusement que nous pouvons faire des rencontres le soir. Nous dormons au chaud chez Romuald et Manon, où nous passons une super soirée. Que c’est agréable de faire la connaissance de gens qui nous accueillent comme leurs amis. Qui plus est, on a pu faire une lessive. Il était temps…
La suite est à lire dans le livre Mon tour du Monde des défis insolites
A bientôt !
Commentaires
Vous m’avez tuée! 🙂 Vous déchirez tout tous les deux… Bon vent pour la suite, on attend le prochain défi!!! Grosses bises à vous deux…
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Vraiment top comme défi ! On attend le prochain avec impatience 🙂
Bonne continuation !
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